C'est votre cinquantième anniversaire cette année. C'est une bonne occasion de faire un petit retour en arrière. Vous avez travaillé sur le thème de l'ours pour la collection hiver 91, et créé des ours en peluche pendant plusieurs années. Comment vous était venue l'envie de faire des créations sur ce sujet ?
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Je crois que toute mon inspiration
est toujours venue de mon enfance. J'ai d'abord coupé des manteaux
en couverture, qui étaient mes couvertures de pensionnaire. Et puis
ensuite comme tous les enfants, j'ai
eu un ours en peluche comme objet transitionnel. Quand je suis devenu un petit peu plus conscient
de l'utilisation de la fourrure dans le monde, je me suis dit que l'ours
était un bon vecteur pour protester d'une manière sympathique
contre l'utilisation des vraies fourrures.
Donc en 91 j'ai eu envie de
faire un vêtement qui était une accumulation de 40 et quelques
ours en peluches pour que ça devienne un vêtement qui sublime
l'animal, la tendresse qu'inspire l'ours en fait. C'est devenu un vêtement
un petit peu culte et emblématique. Il a été
porté par des gens extrêmement différents, comme des
rappers, comme LL Cool J, comme Diana Ross, comme la princesse Tonentaxis,
énormément de gens très différents, ce qui montrait
que l'ours était fédérateur.
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Pourquoi des ours-anges ?
"C'est presque comme une métaphore poétique, les
anges...
Bon, je ne vais pas parler de la relation de l'ange avec l'enfant
mais je crois que les enfants croient aux anges gardiens et je pensais
à un objet transitionnel qui soit la synthèse de la tendresse
et de la protection... d'où l'idée un peu surréaliste
de mettre deux ailes à un petit ours... et en fait il s'est trouvé
que beaucoup de parents dans des situations d'enfants qui étaient
souffrants ou dans des situations difficiles, offraient
cet ours.
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Faire un ours en peluche, est-ce pour vous très éloigné du domaine de la mode, ou estimez-vous qu'il y a une continuité, un rapport entre les deux ?
" Il y a une continuité réelle. C'est à dire que ma mode est surtout orientée autour de la protection. Quelque chose qui est protecteur à l'extérieur et doux à et sensuel à l'intérieur ce qui est vraiment la représentation de l'ours. L'ours a un aspect sympathique éminemment familial, comme ça, quelque chose de calme, de posé et à la fois . Il est fort. Un vêtement, c'est ça aussi : il doit inspirer le confort, la tendresse. Plein d'éléments comme ça qui sont assez proche du vêtement... Mais pour d'autres créateurs ce serait une panthère noire... et pour d'autres, un serpent... "
Et pour vous, c'est l'ours...
Vous avez choisi Ajena pour produire vos ours. Comment s'est fait ce choix ?
" Je voulais une compagnie qui ait une grande diffusion, qui ait une grande connaissance des ours "souples". Chez Ajena il y a une souplesse qui est proche du vêtement. Je voulais un ours mou, un ours malléable, qui ait une forme mais qui soit aussi ergonomique, d'où mon choix d'Ajena. Si j'avais voulu un ours posé sur une étagère j'aurais choisi Steiff. "
Revenons encore plus dans le passé. Dans votre enfance, vous étiez pensionnaire. Quelles étaient vos relations avec les ours en peluche ?
"En vérité, l'ours c'était moi. Parce que, en pension, on a tendance à construire ses propres défenses, à trouver son autonomie, on aimerait hiberner. Je n'avais pas le droit d'avoir un objet comme l'ours et j'étais plutôt comme Linus avec sa couverture. "
Aujourd'hui que représente pour vous l'ours, que ce soit l'animal ou le jouet? Cela va-t-il de pair avec votre intérêt pour la Nature ?
"Fondamentalement. L'ours "animal" semble être une entité terrestre tellement forte et indépendante, autonome, avec un sens de la liberté qui me semble être tout à fait lié à ma passion pour la nature. Je suis fier de vivre dans un pays où il y a encore des ours, dans les Pyrénées. "
Voyez-vous l'ours en peluche uniquement comme un jouet d'enfant ou le considérez-vous aussi comme une forme de création artistique ?
"Ma nouvelle génération d'ours en peluche - qui est à venir pour le millénaire prochain - et sur laquelle je suis en train de travailler avec Ajena, est définitivement une création. Je ne sais pas si elle est artistique, mais elle est conceptuelle. C'est un ours transitionnel, il raconte plusieurs histoires. C'est un ours qui peut changer de vêtement, disons plutôt que changer de vêtement, il peut changer de peau. Je n'ai jamais aimé les ours habillés en hommes, ou déguisés avec des chapeaux, ou des cirés. D'où l'idée de lui changer de peau. Je suis en train de développer tout un joli concept avec Ajena, qui ira dans la grande distribution pour la première fois, et qui sera comme un kit conceptuel autour de l'ours. J'aime bien l'idée que l'ours soit aussi ludique, éducatif, et j'allais dire : curatif. C'est peut être un peu "trop", mais c'est en relation avec ma collection "Premier secours"."
L'ours en peluche semble attirer de plus en plus d'adultes, collectionneurs ou amateurs. Que pensez-vous de cet engouement ?
"C'est l'engouement d'une société en quête de choses simples et de choses vraies. Je crois que la définition même, je suis sur qu'on va arriver à un moment où on verra des ours dans les vitrines de chez Gucci. Je crois que notre société, qui était une société complètement éblouie par les choses factices, des matières qui brillent, est désormais dans une phase de conscience que le seul luxe c'est le confort. "
Vous intéressez-vous aux ours anciens ?
"J'aime les ours anciens s'ils ont été dans ma famille. Un ours c'est tellement personnel - je crois que l'ours le plus ancien qu'il y ait dans la famille, c'est celui d'une de mes fils et on vient de fêter son anniversaire, il va fêter ses 17 ans. Son nom, c'est "Truffe"."
Allez-vous bientôt revenir aux ours ?
"Moi, je ne les ai jamais quittés, les ours... Je ne fais pas de la mode, je travaille sur un mode de vie. Là, je suis en train d'ouvrir des "concepts stores" où on pourra trouver aussi bien ma mode que mes meubles, des jouets que je conçois pour les enfants . Je suis dans une phase où je suis en train de mettre dans un canal toutes mes passions depuis trente ans, et de les présenter de manière conceptuelle. Mais refaire un manteau ours... je n'aime pas trop faire des "karaoké" de mon travail - je préfère avancer."
Un grand merci à Monsieur Jean-Charles de Castelbajac pour sa gentillesse.
Le site officiel de Jean-Charles de Castelbajac est accessible à www.castelbajac.net.
Depuis la réalisation de l'interview, le magasin "Concept Store" de Jean-Charles de Castelbajac a ouvert à Paris : 26, rue Madame, 75006 PARIS - Tél. 01 45 48 40 55
Les photographies ont aimablement été fournies par le service communication de Jean-Charles de Castelbajac.
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